Un blog de FIV, entre difficultés, doutes et espoirs. Et avec des infos scientifiques sur l'AMP
L'avis d'un spécialiste de la PMA sur les menaces qui pèsent sur les gynécos orientant leurs patient(e)s vers les cliniques PMA étrangères. A lire sur le site d'information de la Médecine et de la Biologie de la Reproduction www.mbrinfo.com
Qu’est-ce qui est condamnable ?
Certains de mes amis encore en activité comprennent l’isolement d’un retraité qui, circonstance aggravante, s’est retiré à la campagne. Ils m’envoient donc régulièrement des « mails » (internet est maintenant disponible jusque dans nos cantons les plus ruraux) et non des texto dont ils connaissent ma maitrise imparfaite. Le contenu de ces envois est varié, de la blague parfois même grivoise à l’information médicale la plus pertinente. Certains me font donc rire, d’autres me cultivent. J’avoue avoir du mal à classer celui faisant état de la directive portant sur le don d’ovocytes émanant du Directeur Général de la Santé adressée aux ARS et au Conseil National de l’Ordre des Médecins, à faire suivre aux Conseils départementaux. Belle et classique arborescence administrative pour que nul n’en ignore le contenu.
Tout commence pourtant bien « actuellement, l’offre de don d’ovocytes est insuffisante en France pour couvrir les besoins nationaux ». On sent suivre des propositions concrètes pour pallier à cette situation (nouveaux moyens donnés aux équipes, ouverture de cette technique au secteur libéral…). Que nenni ! Des menaces et des sanctions ! Le bouc émissaire est une fois de plus le Médecin et l’ennemi de l’extérieur, le don d’ovocytes à l’étranger. Dans sa mansuétude, le Ministère de la Justice a cependant considéré que « la simple réception par un praticien français d’une publicité ou d’une sollicitation (courrier, courriel) provenant de l’étranger ne constitue pas une infraction pénale » ; Merci. Je conseille cependant pour ma part de n’ouvrir aucun mail suspect (supprimer avant lecture, poubelle) non plus qu’enveloppe évocatrice (bruler). Pour ce qui concerne la suite de mon propos, je souhaite que soient radicalement distinguées deux situations. La première serait l’obtention d’un paiement ou un avantage de la structure à laquelle le couple est adressé. Il s’agirait là de dichotomie, de rétrocession, retro-commission ou « pots de vin » qui méritent sanction tout comme dans les autres domaines (politique, administratif, financier et industriel). La seconde est d’interdire et donc de sanctionner (cinq ans d’emprisonnement et 75000 € d’amende, pas negligeable) un praticien français « s’il transmet à ses patients une information sur des cliniques ou des organismes étrangers dont les pratiques en matière de don de gamètes ne sont pas conformes à la législation nationale ». La première difficulté est d’identifier les pays où la législation n’est pas conforme à la notre. Il est curieux de constater que l’Espagne, pourtant dotée depuis 1988 d’une législation adoptant comme principes fondamentaux la gratuité et l’anonymat soit particulièrement stigmatisée par cette directive « le nombre de couples français qui se rendent à l’étranger en vue de don d’ovocytes (en particulier en Espagne) ne cesse d’augmenter ».La deuxième difficulté est d’imaginer les conséquences de l’application de cette directive. La fuite des couples vers l’étranger diminuerait-elle ? Plus qu’improbable car tout comme les frontières n’ont pas empêché le passage du nuage de Tchernobyl, Internet et ses dizaines de sites et forum consacrés à ce sujet permettront l’accès des couples à une information dont on peut dans beaucoup de cas discuter la qualité et l’objectivité. N’est-ce-pas alors l’interdiction de « transmettre aux patients une information sur les cliniques ou organismes étrangers qui pratiquent des AMP avec don de gamètes » qui devient condamnable ? En d’autres termes est-il préférable que les patients s’en remettent à Internet plutôt qu’à leur gynécologue ? Rappelons que le médecin qui transmet l’information est moralement responsable vis-à-vis de ses patients, notion trop souvent oubliée. Il connait les résultats des équipes par les réunions et articles internationaux ainsi que la qualité de l’accueil qui leur est réservé y compris linguistique. Si l’on veut bien admettre d’une part que les couples ne quittent pas notre territoire de gaieté de cœur, mais bien par carence de notre système et que d’autre part les médecins souhaitent avant tout être utiles aux couples qui leur font confiance, alors on ne peut être qu’atterré par le contenu anti-déontologique de cette directive.
Bonne lecture
Docteur Roger Roulier
Ancien Directeur de l’Institut de Médecine de la Reproduction à Marseille